Directive européenne sur les énergies renouvelables (RED) : quels enjeux pour la méthanisation en France ?
Rédigé par Farah Doumit (Club Biogaz – CTBM), cet article s’appuie sur un échange avec Emeline Ghigo, experte et animatrice du Groupe de Travail RED du Club Biogaz, qui décrypte pour InfoMétha les enjeux de la directive européenne sur les énergies renouvelables.
En résumé
- La directive européenne sur les énergies renouvelables (RED) fixe les critères de durabilité et les seuils de réduction des gaz à effet de serre (GES) applicables aux filières de production de bioénergies, dont le biogaz et le biométhane.
- La version III de la RED, entrée en vigueur en novembre 2023 à l’échelle européenne, abaisse les seuils d’émissions de GES de 70% à 80% pour les unités de méthanisation de plus de 19,5 GWh/an (équivalent à 200 Nm3/h), avec une obligation de respect progressive en fonction de la date de mise en service de l’installation.
- Une clause dite « grand-père » permet de maintenir temporairement les critères de la RED II jusqu’en 2031 pour les installations bénéficiant d’un tarif d’achat signé avant le 20 novembre 2023, afin de faciliter la transition.
- L’Union Database (UDB) impose une traçabilité intégrale des flux de biomasse, augmentant les exigences administratives pour les producteurs.
- Pour la filière française, la RED représente autant une contrainte qu’une opportunité : renforcer la crédibilité environnementale tout en relevant des défis techniques, financiers et administratifs.
La RED : une directive au cœur de la transition énergétique
Adoptée à l’échelle européenne, la directive sur les énergies renouvelables (RED, Renewable Energy Directive) constitue l’un des piliers de la politique énergétique et climatique de l’Union. Ce texte a une portée transversale, il ne se contente pas de fixer des objectifs de recours aux énergies renouvelables. Il définit aussi les critères qu’une énergie renouvelable doit respecter pour être compatibilisée dans les objectifs de chaque Etat membre. Le texte impose en particulier que les énergies issues de la biomasse respectent des critères stricts de durabilité des intrants et de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Pour la méthanisation, ces implications sont majeures : la conformité à la RED conditionne non seulement l’accès aux soutiens publics mais aussi la reconnaissance officielle du biogaz et du biométhane comme énergies « renouvelables » et durables.
RED II, RED III : une montée en exigences pour la filière méthanisation
Depuis son adoption initiale en 2009, la directive a connu plusieurs révisions. La RED III, entrée en vigueur le 20 novembre 2023 à l’échelle européenne, abaisse les seuils de réduction des émissions de GES et vise à renforcer la traçabilité des intrants. Chaque Etat membre avait 18 mois pour transposer ce texte dans son droit national.
En France, la RED III remplace la RED II, et est en vigueur depuis le 21 mai 2025. La transposition de la RED III en droit français accuse un retard, partagé par de nombreux États membres, en raison de la complexité des concertations entre l’administration et toutes les filières concernées par cette révision. En conséquence, la Direction Générale de l'Energie et du Climat a choisi d’activer une disposition prévue par la RED III dite clause « grand-père » (article 29.15 de la directive RED III). Celle-ci permet de conserver temporairement les critères de la RED II pour les installations bénéficiant d’un tarif d’achat signé avant le 20 novembre 2023. Ce mécanisme de transition assure une continuité d’obligation pour les producteurs jusqu’en 2031. Plus de détails sont disponibles sur la page du Ministère de la Transition Ecologique « Durabilité des bioénergies ».
Des seuils de réduction de GES de plus en plus stricts
La principale évolution de la RED III concerne les critères GES :
- Avec la RED II, les unités de méthanisation de plus de 19,5 GWh/an (environ 250 en France au 6/11/2025) et mises en service à partir de 2021 devaient rester sous un seuil - 70% d’émissions de GES par rapport à un combustible fossile de référence (24 g CO₂éq/MJ pour le biométhane et 55 g CO₂éq/MJ pour l’électricité par cogénération).
- Avec la RED III, ce seuil est abaissé à un niveau nettement plus exigeant, - 80% d’émissions de GES par rapport à un combustible fossile de référence soit 16 g CO₂éq/MJ pour le biométhane et 37 g CO₂éq/MJ pour l’électricité à partir de cogénération.
Les unités mises en service après novembre 2023 doivent se conformer au seuil le plus strict dès leur démarrage (sauf les unités pouvant bénéficier de la clause grand-père). Pour les unités non soumises au seuil de réduction des GES et celles soumises au seuil de – 70%, l’application est progressive en fonction de leur date de mise en service. Ce renforcement d’exigence vise à tirer la filière vers plus de performance environnementale. Mais il pose des défis techniques importants : détecter et réduire les émissions fugitives, optimiser l’efficacité énergétique, et parfois réinvestir dans des équipements adaptés.
Bonus et malus sur les GES : quand les intrants font la différence
La RED ne se limite pas à imposer des seuils : elle attribue aussi des bonus et malus carbone selon la nature des intrants.
- Les effluents d’élevage (fumier, lisier) bénéficient d’un bonus qui peut rendre le bilan carbone global négatif.
- Les autres déchets sont considérés comme neutre en GES jusqu’à leur collecte.
- À l’inverse, les cultures principales à vocation alimentaire et les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) alourdissent le bilan car toutes les émissions liées à leur culture et à leur récolte sont comptabilisées.
Emeline Ghigo attire l’attention sur une particularité : « En France, la part de cultures principales est limitée à 15 % du volume d’intrants total. C’est une spécificité nationale qui rend la filière plus durable que dans d’autres pays européens. »
L’Union Database : la traçabilité intégrale des flux de biomasse
Au-delà des seuils, la directive met l’accent sur la traçabilité. L’outil central est l’Union DataBase (UDB), une base de données européenne conçue pour suivre l’ensemble des flux de biomasse et d’énergie renouvelable (article 31 bis de la directive RED III).
Historiquement pensée pour les biocarburants, l’UDB s’étend désormais au biogaz et au biométhane. Son ambition est claire : garantir qu’aucun intrant ne provienne de sources non durables, et certifier à chaque étape la conformité des flux. Cependant Emeline Ghigo souligne qu’ « en pratique, cela impose un reporting en temps réel. Pour des exploitations agricoles, où les échanges de biomasse peuvent être informels, c’est un vrai défi. ». Concrètement, cela se traduit par :
- un suivi des flux « de l’amont à l’aval » (de la biomasse jusqu’à l’énergie injectée dans le réseau ou utilisée sur site),
- une charge administrative accrue, particulièrement complexe pour les exploitations agricoles où les échanges de biomasse (et de digestat) sont parfois informels et ne correspondent pas aux exigences administratives de l’UDB.
Cette traçabilité renforce la crédibilité du biométhane européen, mais elle soulève aussi des inquiétudes quant à la faisabilité opérationnelle pour les producteurs. Pour faciliter cette mise en conformité, la France prévoit de s’appuyer sur la plateforme CarbuRe, déjà utilisée pour la traçabilité des biocarburants durables. Cette interface nationale doit permettre aux acteurs du biométhane d’assurer la transmission automatique des données requises vers l’UDB, tout en limitant la charge administrative pour les producteurs.
Les textes d’application en constante évolution : une vigilance nécessaire
La directive RED évolue en permanence à travers ses annexes, actes délégués et référentiels techniques. Ces évolutions visent à renforcer la robustesse scientifique des bilans d’émissions et à harmoniser les pratiques entre États membres.
Plusieurs textes sont actuellement en cours de révision :
- La révision de l’annexe VI, qui définit la méthodologie de calcul des bilans GES pour le biogaz et le biométhane. Cette mise à jour prévoit notamment d’intégrer les émissions fugitives de méthane à chaque étape du processus (traitement du biogaz, gestion du digestat, cogénération, épuration). La révision propose également de revoir les facteurs d’émission par défaut : plus stricts lorsqu’aucun programme de détection et de réparation des fuites (LDAR) n’est mis en place, mais ajustables à la baisse si de bonnes pratiques sont appliquées.
- La mise à jour de l’acte d’exécution IR 996/2022, qui encadre la certification de durabilité et les obligations de reporting des opérateurs dans l’Union Database (UDB).
- Une possible évolution de l’annexe IX, qui détermine la liste des matières premières éligibles, afin de mieux valoriser certaines ressources comme les effluents d’élevage ou les résidus agricoles.
Pour la filière méthanisation, cette dynamique de révision permanente appelle une vigilance continue, afin d’anticiper les futures exigences et de maintenir la conformité des installations.
La RED : contrainte ou opportunité pour la filière méthanisation ?
Selon Emeline Ghigo, « la RED, c’est à la fois une contrainte et une opportunité : une contrainte parce qu’elle impose de lourds investissements et du suivi administratif, mais une opportunité parce qu’elle prouve la durabilité de notre filière. » En effet, en France, où la méthanisation repose fortement sur le monde agricole, la question de l’acceptabilité est centrale. Montrer que la filière respecte les critères européens les plus exigeants est un gage de crédibilité auprès des pouvoirs publics et des citoyens. Avec la RED III, la méthanisation entre dans une nouvelle phase de structuration. Les producteurs devront s’adapter à des critères plus stricts, à une traçabilité intégrale, et à une méthodologie de bilan GES révisée. Ces défis sont considérables, mais ils offrent aussi une occasion unique de démontrer la robustesse et la durabilité de la filière. En consolidant sa conformité, la méthanisation française peut non seulement préserver son avenir économique, mais aussi renforcer sa légitimité comme pilier de la transition énergétique européenne.